En 1607, quand Monteverdi écrivit son premier opéra, L’Orfeo, le genre opératique était un genre naissant (la plus ancienne partition d’opéra dont nous disposons aujourd’hui date en effet de 1600), aux codes non encore établis et ne pouvant renier sa parenté madrigalesque. On doit peut être la persistance du genre opéra au succès (relativement à son époque) de L’Orfeo, comme en témoigne les rééditions multiples de sa partition (ce qui était alors exceptionnel). Totalement oublié pendant trois siècles, c’est aux concerts baroques organisés par Vincent d’Indy qu’on doit la redécouverte de Monteverdi au début du XXième siècle. Ce sont d’ailleurs ces mêmes concerts qui permettront à Debussy de découvrir Rameau.
Bien entendu les recherches musicologiques pour essayer reconstituer l’œuvre telle qu’elle sonnait au début du XVIIième siècle n’étaient qu’à peine nées. Problème d’autant plus épineux que les partitions sont extrêmement minimalistes, laissant aux interprètes une liberté immense. Dès lors il ne peut s’agir que d’approximation ou plutôt de proposition de reconstitution. Pour cela Nikolaus Harnoncourt a dû réunir un instrumentarium quelque peu exotique à nos oreilles aujourd’hui encore (cet enregistrement date de 1968), alors même que nous avons désormais une grosse trentaine d’années de recul sur l’audition des œuvres baroques sur instruments d’époque. Les instruments de cet enregistrement datent majoritairement du XVIIième siècle, ou sont des reconstructions à l’identique d’instruments de cette époque. La différence la plus criante se trouve chez les cuivres.
C’est en partie pour ces raisons que cet enregistrement divise. Disons le tout net je fais partie de ceux qui sont conquis. Non bien sûr par l’argument ô combien fallacieux de l’authenticité. Celle ci n’est définitivement qu’une chimère. Il n’est en fait même pas nécessaire d’en faire la colonne vertébrale de sa pensée, et on sait l’effet stérilisant que peut avoir cette approche. Il n’est donc question que de sentiment non de raison. Et c’est bien un sentiment unique qui nous traverse à l’écoute de ces deux disques : celui d’un grand voyage dans le temps dont il serait impossible de déterminer la distance qui nous sépare de notre point de départ.
Point de sécheresse ici. L’enregistrement baigne dans une sorte de chaleur orangée, conséquence à la fois des timbres des voix choisies (et en premier lieu celui du rôle-titre tenu par Lajos Kozma), des instruments d’époque et également de la musique naturellement colorée de Monteverdi. Le seul choix qui interroge c’est celui des tempi trop uniformes entre les différents numéros (mais vous l’aurez compris, rien de rédhibitoire).
Je m’empresse de rajouter pour finir mon propos, que cet enregistrement a fait l’objet de multiples rééditions dont les dernières sont extrêmement économiques.
Complètement d’accord avec toi sur la chaleur et le voyage incroyable procuré par cet enregistrement – vraiment un cas unique dans l’histoire du disque, même les autres volumes de la première série Monteverdi d’Harnoncourt n’y parviennent pas vraiment.
En revanche, ce que tu dis sur la recherche balbutiante est réfutable, c’est à la fois trop et pas assez :
=> lorsque Hindemith et Harnoncourt le jouent en concert, c’est bien la première fois qu’une telle entreprise est menée à bien. Hindemith avait par le passé fait des essais sur instruments d’époque, et Harnoncourt disposait de ceux-ci, mais ce n’est qu’à cette occasion, en unissant leurs forces, qu’ils ont pu proposer quelque chose de « ressemblant » ;
=> et simultanément, c’est très proche de ce qui se faisait à l’époque (continuo libre, instrumentarium), davantage que la plupart des versions qu’on a pu entendre depuis.
Je te rejoins évidemment sur le leurre de l’authenticité, mais vu la façon dont on jouait Monteverdi à l’époque, c’était plutôt essayer de retrouver quelque chose de stylistiquement adéquat que poursuivre un vain mirage !
Ce que tu dis sur les instruments est simplement plus précis que mes propos en fait.
Sur l’authenticité mon propos se voulait plus général. Je voulais dire par là que ce n’est pas depuis un camp ou un autre que je juge, mais vraiment au résultat uniquement. C’est à dire uniquement de sentiment.
Etant donné qu’il s’agit de musique – et donc de sensible et non de science -, ça me paraît assez avisé.
De toute façon, cet enregistrement répond remarquablement aux deux critères…