Duparc / Chausson / Hahn : Mélodies (V. Gens / S. Manoff)

neereAprès Fauré, Debussy, Poulenc, puis Berlioz et Ravel, il était attendu autant qu’espéré d’entendre Véronique Gens dans d’autres pans du répertoire mélodique français. À cette attente légitime, eu égard aux qualités de l’interprète seyant parfaitement à ce genre, les éditeurs ont répondu pour le moins frileusement. Disposer d’une interprète aussi adéquate pour un répertoire somme toute assez peu enregistré (surtout si l’on considère que se sont souvent les mêmes oeuvres à qui l’on octroie ce privilège) n’est pas chose suffisamment fréquente pour que nos chers éditeurs puissent se permettre de snober une telle occasion, ou de le faire en reculant. C’est pourtant ce qui se produit ici. Au lieu d’envisager à long terme l’enregistrement de plusieurs disques, ce sont trois compositeurs différents qui nous sont proposés ici dans un seul et même CD. Et l’intuition, liée à la l’habitude du marché du disque, nous fait dire qu’il faudra définitivement nous en contenter.

Et cela est parfaitement regrettable. Car avec un tel format, la place dévolue aux mélodies moins connues des mélomanes se réduit drastiquement. La forte présence des oeuvres de Duparc en est le signe. Pourquoi dès lors ne pas avoir enregistré une intégrale Duparc séparément, pour laisser plus de place aux mélodies de Chausson et Hahn, globalement moins connues que celles de Duparc ?

Une chose est sûre cependant : les mélodies ici sélectionnées sont toutes des chefs d’oeuvre. Si celles de Duparc ne trahissent pas leur haute réputation, celles d’Ernest Chausson et Renaldo Hahn gagneraient à être mieux connues (malgré un certain nombre d’enregistrements du Poème de l’amour et de la mer, et le disque consacré à Hahn de Susan Graham).  De caractère plus torturé, les oeuvres de Duparc et Chausson semblent liées en partie à l’influence wagnérienne alors assez prégnante en France, celle-ci ayant pu leur être transmise par leur professeur commun, César Franck. Avec Duparc (1848-1933), la mélodie française gagne en profondeur, en complexité, et certainement en légitimité musicale. L’harmonie se complexifie sensiblement, les structures thématiques symétriques sont bannies et les cassures rythmiques (mais ô combien expressives) font leur apparition. Et si Chausson (1855-1899) (par ailleurs ami proche de Duparc) relève de ce même mouvement artistique, Renaldo Hahn (1874-1947), leur cadet, semble s’inscrire bien davantage dans la veine plus naïve, plus simple, et plus optimiste (mais tout aussi intéressante) du néo-classicisme du tout début du XX° siècle, non encore touché par les horreurs de la guerre.

Les qualités de Véronique Gens pour défendre ce répertoire demeurent. D’abord, par un français qu’on peut difficilement faire plus compréhensible dans cette tessiture. Ensuite, et surtout, une capacité assez exceptionnelle à trouver du naturel dans un répertoire souvent jugé intellectualisant et salonard (pour ne pas dire guindé), sans perdre une miette du potentiel expressif de ces oeuvres. Enfin par sa maîtrise technique totale, lui permettant d’user de toutes les nuances ou phrasés. Susan Manoff se fond dans son rôle d’accompagnatrice, qu’elle distingue parfaitement de celui de pianiste. Ce disque aux couleurs automnales, fruit d’une complicité non feinte et fréquemment renouvelée par de nombreux concerts autant que d’un amour sincère et partagé pour ce répertoire, ravira tous les amateurs d’atmosphères intimistes.

Ce contenu a été publié dans Chausson, Duparc, Hahn, Mélodies, lieder et musique de chambre, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *