On ne présente plus l’opéra le plus joué au monde. Succès jamais démenti, que n’eut pas le loisir de savourer son auteur, mort peu après le scandale de la création en 1875. Oui, Carmen est un opéra populaire, dans sa plus noble acception : sa musique simple – mais jamais vulgaire – et sans détour parfaitement liée au livret, et un drame d’une redoutable efficacité et propre à toucher n’importe quel public. Vous pouvez écouter l’œuvre gratuitement en toute légalité sur musicme, grâce au lien que voici :
Carmen, opéra français ou opéra espagnol ? Par ce questionnement je vise plutôt les interprétations possibles que l’oeuvre elle-même (car celle-ci est clairement française). En effet dans l’histoire de l’interprétation de cette oeuvre il me semble qu’on peut y voir deux écoles : l’une française et l’autre plutôt internationale. Dans la première, le texte est d’avantage compréhensible (les rôles sont tenus par des francophones, ou des artistes à la diction française de très bon niveau), mais aussi les timbres moins chauds et ronds. Le meilleur exemple est certainement la Carmen de Anna Caterina Antonacci (ou le Don José de Roberto Alagna). Inversement quand la distribution devient plus internationale, l’oeuvre prend une coloration plus chaude, et l’ambiance n’est plus la même. Je pense sincérement qu’il faut avoir écouter les deux types d’interprétations. L’enregistrement présenté ici relève assez clairement de la première optique, tant par l’orchestre que les solistes.
En effet, la bonne surprise de cette intégrale, c’est la Carmen d’Angela Gheorghiu. Quand un rôle titre féminin est prévu pour une mezzo-soprane, que font les sopranes ? Elles s’en emparent ! Angela Gheorghiu ne fait que suivre en celà d’illustres chanteuses : Leontyne Price, Régine Crespin ou Maria Callas par exemple. Le rôle ne pose pas de problème à de telles chanteuses, généreusement pourvues en grave. Angela Gheorghiu campe une Carmen à la fois sobre, et impliquée dans un français que l’on n’osait imaginer de sa part. Avec Don José, rôle de demi-caractère (plus précisément ténor assez léger au premier acte, très lyrique au deuxième, et relativement dramatique dans les deux derniers actes) Roberto Alagna trouve là un de ses plus beaux rôles. Le studio assagit un peu sa prestation en comparaison de ses directs (électriques à l’extrême il faut dire), mais absolument rien de rédhibitoire, tellement il reste l’un des tous meilleurs Don José.
Thomas Hampson, baryton américain, plutôt clair et chanteur de lied n’a rien d’Escamillo, et ce n’est pas faire injure à cet immense artiste, que de dire que Mahler lui sied beaucoup mieux, ou pour faire plus proche de Bizet, Valentin du Faust de Gounod. C’est d’autant plus dommage que le plateau possède Ludovic Tézier (en Moralès) et Nicolas Cavallier (en Zuniga) qui auraient pu le remplacer avantageusement. Inva Mula est une Micaëla frémissante et bien chantante. Les petits rôles étalent un luxe vocal totalement inouïe : Ludovic Tézier, Nicolas Cavallier, Nicolas Rivenq, Yann Beuron …
Globalement Michel Plasson et sa très bonne équipe de chanteurs emportent très largement l’adhésion, au point d’en faire presque l’intégrale de référence. Presque … car on peut vraiment se demander quel mauvais diable est passé dans la tête de Michel Plasson pour avoir choisit la version Guiraud ! Cette version supprime la si belle alternance, dans cet opéra, des parties chantées et parlées. On perd en naturel et en beauté. Une intégrale à posséder donc, même si il faudra une ou deux autres versions dans sa discothèque pour contenter les amoureux de la célèbre bohémienne.
Plasson, c’est plus que français, c’est carrément meyerbeerien. 🙂 Lecture passionnante qui enlève tout ce que la tradition a mis de couleur locale – qui est loin d’être omniprésente dans cet opéra…
Sinon, assez profonds désaccords sur deux points :
=> je trouve Hampson profondément marquant. Pas du tout hâbleur ou extérieur (dans le genre virtuose, Blanc est de toute façon inapprochable – sauf peut-être par Dens), tout en clair-obscur, perclus de fêlures et d’histoire… Vraiment un personnage plein d’épaisseur, dans un français remarquable ;
=> les dialogues de Guiraud reprennent la matière de Bizet et sont remarquables en eux-mêmes, je les trouve (au moins) aussi bons que la musique de Bizet, même s’ils sont considérablement moins audacieux. On peut privilégier la lecture opéra-comique qui accentue les contrastes et la forte personnalité de chaque question, mais il me paraît illégitime de disqualifier Guiraud au prétexte que la partition serait « moins bonne ».
Hampson, c’est trop clair, trop intellectuel et pas assez latin pour Escamillo, si tu préfères. Mais bon entendons nous : c’est très honnorable évidemment, ça n’enlève pas grand chose à cette intégrale.
La version Guiraud me gêne bien plus. Je préfère largement l’esthétique de la version « parlée ».
Bon, j’y vais aussi de mon petit commentaire…
Je rejoins assez David pour Hampson… et même j’irais plus lui : pour moi cette intégrale est parfaite pour les seconds rôles (Escamillo et Micaela compris) mais un peu moins pour les deux rôles principaux.
Gheorghiu chante dans un très bon français… mais par contre, son grave est élargie à l’extrême et du coup en devient assez laid je trouve.
Quant à Alagna, il fait comme toujours depuis des années : une superbe diction, mais un style qui lorgne vers le vérisme plus que vers le chant français qu’a installé un Vanzo par exemple…
Par contre, totalement d’accord sur les deux possibilités d’interprétation de l’oeuvre… même si pour moi, le côté international passe à côté de l’oeuvre, en extirpant tout ce qu’elle peut avoir de « vulgaire » ou tapageur en oubliant de mettre en avant le drame et les personnages : on se retrouve devant une caricature d’espagnolade souvent.
Ne me dis pas que tu veux un baryton-basse pour Escamillo. 🙁
@Polyeucte :
Non évidemment pas d’accord ni sur Hampson ni sur Alagna !
@David :
Pas nécessairement. Un Ludovic Tézier convient parfaitement. Cela dit c’est vrai la tessiture du rôle est plus celle d’un baryton-basse.
De toute façon, le plus grand Escamillo, ça reste Ernest Blanc (avec juste derrière Ghiaurov bien sûr!!)
Mais c’est sûr qu’au final, Escamillo n’est pas forcément le rôle le plus facile à distribuer si on veut qu’il ait l’impact nécessaire… A la voix une vraie morgue, des aigus faciles mais aussi des graves parce que ça descend quand même bien…
Cavallier par exemple n’était pas tout à fait à son aise à l’Opéra-Comique (et Tézier pas plus à Bastille en fait…)
C’est vrai la tessiture n’est pas évidente. P être un peu trop aigue pour Cavallier, un peu trop grave pour Tézier (mais à Orange ils s’en sont très bien sorti tous les deux).