« Un jour, le monde redécouvrira Tournemire » – Olivier Messiaen. Puisse cette phrase prophétique s’avérer un jour exacte ! Pourtant il nous est permis d’en douter tant la musique pour orgue de Tournemire réclame une adhésion complète à sa poésie, mystique à l’extrême, et son esthétique tout en raffinement, exigeante pour l’auditeur. Charles Tournemire (1870-1939) n’est pourtant pas le parfait inconnu dans le monde des mélomanes, mais sa connaissance est encore trop circonscrite au monde un peu trop clôt et restreint des amateurs de la musique pour orgue. Et encore cette assertion est elle discutable tant Tournemire est loin d’être le plus joué des concerts d’orgue. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été un compositeur prolifique. Tournemire, un des derniers élèves de César Franck, fut le successeur de Gabriel Pierné à l’orgue de Sainte-Clotilde (qui lui même avait remplacé Franck).
Naxos a consacré un grand nombre de disques sur sa musique symphonique et pour piano. Quant à son oeuvre pour orgue il faut bien reconnaître qu’elle a de quoi démobiliser le plus vaillant mélomane. Jugez plutôt : l’oeuvre centrale de ce corpus, l’Orgue Mystique (composé entre 1927 et 1932), à elle seule, ne dure pas moins de 14h ! L’ampleur de son oeuvre pour orgue peut se comparer à celle de Jean-Sébastien Bach. La fonction de cette oeuvre peut également être comparée à certains pans de l’oeuvre du cantor, son auteur la qualifiant lui-même comme «Cinquante-et-un des offices de l’année liturgique, inspirés du chant grégorien et librement paraphrasés» : ce que Bach est aux luthériens avec ses cantates, Tournemire veut l’être pour les catholiques. Ainsi propose t-il cinq pièces pour chaque office de l’année : un Prélude à l’Introït, un Offertoire, une Elévation, une Communion et une pièce finale sensiblement plus longue résumant les idées des autres pièces. Ce couronnement final peu atteindre des niveaux himalayesques comme la Fantaisie clôturant l’office n°7 (que vous pouvez écouter juste après).
Vous pouvez écouter une anthologie de l’oeuvre sur 2 CDs :
Son style, même si il hérite de l’univers franckiste, s’en détache assez largement, annonçant Messiaen, Alain et Florentz. En ce sens là il est profondément moderne. Il est également profondément original car assez facilement reconnaissable et qu’il distille une poésie que l’on n’osait pas imaginer possible avec l’orgue. Il peut représenter une sorte d’idéal esthétique combinant le meilleur de ces deux mondes. Si l’extase et le mysticisme sont portés ici à un point de non retour ce n’est jamais dans l’outrance ou la démonstration. On pourrait résumer toutes ces considérations en disant qu’il est en quelque sorte l’inventeur de l’orgue « planant ». Son utilisation très fréquente, de façon quasi pointilliste, de la partie la plus aigue du clavier combinée aux jeux planants du récit (Voix céleste) donne à sa musique un côté stéllaire pour ne pas dire cosmique.
Il n’existe à l’heure actuelle que deux intégrales achevées : celle de Müller et celle de Delvallée, toutes deux difficilement disponibles. En outre, Vincent Boucher est en train d’enregistrer une intégrale de toute l’oeuvre organistique de Tournemire, pour le label ATMA Classique, mais celle-ci n’en n’est qu’au troisième volume. Mais revenons à l’intégrale Delvallée, qui restera certainement encore longtemps la référence. Delvallée fait très bien sentir son fort attachement à la musique de Tournemire, par la compréhension totale qu’il en a. La prise de son, très bonne, n’est pas totalement parfaite, mais est pourtant idéale. Car derrière les très légers bruits de touches, ou un timbre qu’on imagine volontier plus parfait, il y a une véritable patine sonore, qui révèle complètement cette musique. Voici des extraits choisis :
Office n°46, 19° dimanche après la Pentecôte, Choral Alléluiatique :
Office n°20, Postlude Choral :
Office n°14, Verrière :
Bien d’accord, Delvallée montre une aisance formidable là-dedans, et il est même allé jusqu’à enregistrer les oeuvres pour piano de Tournemire (formidable version des Préludes-Poèmes, l’un des plus grands monuments jamais écrits pour le piano).
De mon côté, plutôt que par l’Orgue Mystique, dont la vocation est largement liturgique (et donc la présence conçue pour rester assez discrète), je suis séduit par les Chorals-Poèmes…
Cette musique dépasse (largement) sa fonction liturgique je trouve. Pourquoi Delvallée l’aurait il enregistrée (surtout en intégralité) sinon ? Pourquoi Messiaen y voit des « centaines de chefs d’oeuvre » ? Tu comprends bien que je ne peux pas être d’accord 😉
Pour ma part j’y vois un vrai monument de la musique du XX° … encore bien trop méconnu.
Oh, mais ce n’était pas péjoratif dans ma bouche ; ça s’oppose simplement à la musique de concert (de même que les musiques de scène prévues pour accompagner une pièce déclamée, par exemple). C’est une musique qui n’est pas prévue pour être le sujet principal, et en l’écoutant seule, elle manque peut-être un peu de contraste, de prégnance mélodique, etc. D’où le fait que j’aille plus volontiers vers ses oeuvres écrites pour le vrai solo.
Mais c’est incontestablement une belle somme, qui s’écoute bien, et qui regorge de raffinements discrets mais très réels. Et ça me fait vraiment plaisir de la voir louer.
Oui c’est un débat très large, c’est un peu la même opposition que musique improvisée, musique écrite ! Jamais je n’aurais cru défendre ainsi une musique proche de l’improvisation, contre toutes les convictions que j’avais. Mais voilà le génie de Tournemire m’a fait voir que ce que je pensais était trop simple.
Après j’aime bien faire renaître des musiques que je pense méconnues à tort 😀 (pour le coup il y a des raisons objectives dans ce cas, comme j’ai pu l’écrire).