Strauss n’a jamais été avare de voltefaces stylistiques. Ariane à Naxos en est un bel exemple. Cet opéra semble aussi éloigné de l’orchestre fourni et des plus de trois heures de Der Rosenkavalier que de l’expressionnisme excessif d’Elektra. Plutôt court (moins de deux heures), cet opéra est également très allégé au niveau de la fosse : orchestre de chambre, agrémenté d’un harmonium et d’un piano. Cette orchestration originale n’est pas pour rien dans le charme de l’oeuvre.
Troisième collaboration entre Hofmannsthal et Strauss (après Elektra et Der Rosenkavalier), aucune espèce de routine ne s’est cependant installée entre ces deux génies comme en témoigne la genèse chaotique de cette œuvre et la correspondance enflammée des deux hommes à son sujet. Quand les deux hommes réfléchirent à leur nouveau projet, l’œuvre devait comporter Ariane à Naxos et être précédée du Bourgeois gentilhomme de Molière sur une musique de scène composée par Strauss. C’est ainsi que fut créée l’œuvre en 1912, avec un accueil très mitigé. C’est Hofmannsthal qui par la suite rédigea un prologue centré autour d’un nouveau personnage, le Compositeur, pour remplacer le Bourgeois gentilhomme. Strauss peu enthousiaste au départ, se mit à la tâche et en 1916 cette seconde version d’Ariane à Naxos reçut enfin un accueil positif.
Il aurait été dommage que Strauss nous en priva, car le prologue est réellement magnifique. Il faut cependant bien reconnaître que cette beauté ne se livre qu’au fil attentif d’écoutes répétées. La partie « opéra », plus directement cernable, n’en est pas moins un chef d’œuvre absolu. Si comme nous l’avons dit, l’orchestration est sensiblement plus raffinée qu’à son habitude, la musique l’est également, car les thèmes sont plus furtifs, discrets, évanescents. Du Strauss très bon cru, meilleur à mon sens que l’opéra qui suivra, Die Frau ohne Schatten.
L’enregistrement que je me propose de commenter est un live capté à Vienne en 1976. Le label Orfeo plutôt connu pour choisir des soirées exceptionnelles avec une bonne prise de son (mais à des prix relativement dissuasifs) ne faillit pas à sa réputation. La bande sonore est effectivement assez proche de la qualité studio. Aucune difficulté ici pour Karl Böhm de montrer son art, car straussien plus qu’aucun autre de ses confrères. La légère placidité de Gundula Janowitz est bien vite oubliée. Edita Gruberova alors à l’aube de sa carrière est une Zerbinette toute en fraîcheur et facilité. Agnès Baltsa malgré son timbre un rien métallique nous peint un compositeur enflammé. Enfin, James King relève héroïquement le défi de chanter Bacchus. Et qui viendra se plaindre que Heinz Zednik et Walter Berry chantent les petites rôles ?