Comme nombre de compositeurs d’opéra de la période baroque, Haendel a composé sur des livrets inspirés du Orlando furioso de L’Arioste. C’est le cas d’Alcina, crée en 1735 au Covent Garden. Les trois actes de cet opéra racontent l’histoire de la magicienne Alcina, attirant sur son île les hommes pour les transformer en rocher, en plante … ou encore en bête sauvage. L’ensorceleuse et sa complice de soeur Morgana coulent ainsi de beaux jours, jusqu’au jour où Alcina tombe amoureuse de Ruggiero. Sa fiancée Bradamante fera tout pour provoquer la fin d’Alcina.
Il s’agit là d’un des plus grands chef d’oeuvre d’Haendel (à côté du Messiah, de Giulio Cesare, ou encore de la Water Music) : que la durée assez conséquente de l’oeuvre (presque 3h40 pour cette version, ce qui est assez habituel chez Haendel) n’effraie donc pas ceux qui ne connaissent pas encore le monde merveilleux de l’opéra seria, car il n’y a ici rien à jetter. Le rôle titre à la part belle, enchaînant de superbes airs lents, parlant du désespoir de cette sorcière d’Alcina : Di cor mio quanto t’amai, Si son quella ou encore Ah! mio cor! Son amant possède lui aussi des airs que vous n’êtes pas prêt d’oublier : Mi lusinga il dolce affetto, ou Mio bel tesoro. Et vous ne pourrez pas d’avantage rester indifférent aux airs vifs de la diablesse Morgana.
L’enregistrement que j’ai décidé de mettre en lumière aujourd’hui, est un studio datant de 1985. La date peut faire peur aux baroqueux, mais tempérez vos transports … il s’agit bien d’instruments baroques ! C’est le chef anglais Richard Hickox (hélas mort en 2008) qui dirige. Il n’est pas spécialiste du baroque, puisque son répertoire est plutôt centré sur Britten ou Vaughan Williams et d’une façon générale les compositeurs britaniques. Et pourtant ce chef est ici tout à fait légitime. Ce n’est ni une interprétation romantisée, ni une interprétation baroqueuse jusqu’auboutiste. La patine sonore est plutôt chaude et ronde, mais sans vraiment perdre en précision : ce qu’on perd en transparence on le gagne en drame, d’autant que le chef n’est jamais mou. Il trouve finalement un excellent équilibre qui fait de son enregistrement un classique dans toute la noblesse du terme. Alcina est rôle plutôt distribué à des sopranes relativement grand format (comparativement aux habitudes acutelles en musique baroque), et Arleen Auger ne fait pas exception à la règle. Cette chanteuse, disparue elle aussi trop tôt, trouve avec Alcina, le rôle qui lui convient certainement le mieux. Si le chant est souverainement maîtrisé, c’est son incarnation qui passe déjà à la postérité. Sa soeur est en général donnée à des sopranes plutôt légèrs, et pourtant si la voix de Eiddwen Harrhy ne donne pas l’impression d’appartenir à cette catégorie, elle s’en tire avec brio. Rien à reprocher non plus au Ruggiero de Della Jones. On peut imaginer mieux par contre pour endosser le rôle d’Oronte, que le timbre plutôt ingrat de Maldwy Davies. Enfin John Tomlinson est là pour nous rappeler que les grandes voix avec un minimum de discipline peuvent faire notre bonheur dans le répertoire baroque.
Au contraire, Hickox est bel et bien un spécialiste du baroque, avec un ensemble fondé en 1990 avec le violoniste spécialiste Standage. Il a une discographie assez fournie de ce côté (Monteverdi, Purcell, Haendel, Vivaldi…), même s’il est simultanément spécialisé dans la musique britannique.
Au passage, je place son Requiem de Mozart et ses symphonies de Beethoven (pourtant avec des musiciens peu célèbres à l’échelle européenne) au plus haut de la discographie très fournie. 🙂
Ce n’est pas l’interprète le plus vibrant du baroque, ce n’est pas sa formation, mais c’est toujours propre et sans mollesse, et appuyé sur un sens de la déclamation très estimable.
Le disque dont tu parles est réalisé avant la fondation de son ensemble, et m’a-t-il semblé à l’oreille sur instruments modernes – joués partiellement de façon « musicologique ». Ca sonne quand même encore un peu expérimentation, on est plus proche de Corboz ou de Marriner que des vrais baroqueux (à cette date, il y avait déjà bon nombre d’enregistrements de qualité pour ce répertoire).
Mais comme toujours avec Hickox, c’est très élégamment phrasé – à défaut d’être dramatiquement ébouriffant.
Arf je vois que l’état de grace est terminé ^^.
Ca me semble bien plus vivant qu’un Marriner.