Deuxième tragédie lyrique (et troisième opéra, après Hippolyte et Aricie et Les Indes Galantes) de Rameau, Castor et Pollux est certainement un des sommets de la production du compositeur. Comme souvent chez Rameau, il existe deux versions de l’oeuvre : 1737 et 1754. Elles correspondent elles aussi à la première grande querelle esthétique musicale en France : celle des ramistes contre les lullystes (voir l’article sur Hippolyte et Aricie pour plus de détails). Malgré le scandale quatre ans plus tôt d’Hippolyte et Aricie, Rameau ne désarme pas et va même plus loin harmoniquement avec Castor et Pollux : le chœur des Spartiates au premier acte « Que tout gémisse » en est un bon exemple. Voilà pourquoi, encore une fois, il proposera (mais longtemps après) une seconde version de son œuvre.
Le thème central de l’œuvre est peu commun à l’opéra : l’amour fraternel. Castor, amant de la belle Télaïre, est tué par Lincée. Son immortel frère jumeau, Pollux, se venge en tuant Lincée. Il amène la dépouille à Télaïre et en profite pour lui déclarer sa flamme. Télaïre repoussant ses avances lui ordonne de partir plaider la cause de son frère auprès de Jupiter son père. Ce dernier consent à redonner la vie à son frère à condition que Pollux prenne sa place aux enfers. Aussi cruel soit le dilemme, Pollux ne fléchit pas dans son entreprise, malgré les tentations dessinées par Jupiter … et les plaintes de Phébé secrètement amoureuse de lui. Aux Champs Elysées, Pollux expose à son frère son sacrifice. Mais celui-ci n’accepte de revenir aux lumières du jour que pour une seule journée afin de voir une dernière fois Télaïre. Phébé voyant le couple, se donne la mort pour rejoindre Pollux aux enfers. Castor apprend à son aimée sa résolution. Télaïre désespérée en vient à maudire les dieux. Jupiter annonce alors qu’il va donner l’immortalité aux deux frères, et les invite comme Télaïre aux délices de l’Olympe.
La musique de Rameau est ici particulièrement inspirée, et ce dés sa magnifique ouverture. Les danses sont plus belles que jamais, si bien qu’il faudrait toutes les citer si on voulait être juste. On retiendra également le chœur de Spartiates ouvrant le premier acte, pour son harmonie ou encore le « Tristes apprêts, pâles flambeaux » de Télaïre pour sa puissante mélodie et l’utilisation assez géniale du basson. Autre sommet : l’air de Pollux ouvrant le second acte « Nature, Amour, qui partagez mon cœur », ainsi que le chœur des suivantes d’Hébé et le trio entre Phébé, Télaïre et Pollux. Enfin il est certain que vous succomberez aux charmes de l’air de Castor ouvrant le quatrième acte « Séjour de l’éternelle paix » et du chœur des ombres heureuses qui le suit.
La version de William Christie chez Harmonia Mundi est un enregistrement studio de 1992, hélas maintenant difficilement disponible (j’ai bien peur qu’il ne nous faille composer un chœur des désespérés pour que ces messieurs de chez Erato et Harmonia Mundi – entre autres – daignassent rééditer certains de leurs meilleurs enregistrements). William Christie est comme toujours dans ce répertoire irréprochable, y compris sur le choix de la version de l’œuvre (celle de 1737). Howard Crook est certes d’une maîtrise vocale et stylistique peu commune, mais il pourra également agacer par son ton très aristocratique et maniéré. On comprendra sans peine les tensions fratricides des jumeaux par la beauté vertigineuse du timbre qu’Agnès Mellon prête au rôle de Télaïre. Et que dire de la prestation de Jérôme Corréas, si ce n’est que sa maîtrise de la tessiture de Pollux est stupéfiante, tout autant que la conviction qu’il met à dessiner ce noble cœur prêt aux plus grands sacrifices. Le reste du plateau arbore un luxe avec lequel il sera difficile de rivaliser : Véronique Gens, Sandrine Piau, Mark Padmore …
Il est strictement interdit de dire du mal de Crook… oui c’est toujours un peu apprêté, mais quelle noblesse, quelle beauté de chant…
J’ai tous les droits 😀
Il faut bien faire la fine bouche !
Bien sûr, mais je dois dire que cette approche un peu froide et aristocratique me plait beaucoup dans la tragédie lyrique… c’est pour ça par exemple que j’aime beaucoup les premiers enregistrements de Christie, qui sont peut-être un peu moins vivants que ce qu’il aura fait ensuite, mais aussi plus clairs et délicats…
En tout cas, cette version aura été une vraie découverte pour moi… après Harnoncourt qui m’avait refroidi, là j’ai été ébloui!!
Pour moi, quatuor vocal au sommet de l’inégalable… j’aurais vraiment des difficultés à ne proposer qu’un meilleur nom, voire un simple pair.
S’il ne fallait conserver qu’un seul disque de Rameau, aussi bien pour la seule œuvre que pour l’interprétation…
(En revanche, pour Harnoncourt, on ne croirait pas pouvoir jamais dire ça, mais son enregistrement est un massacre, un abîme de mollesse – il faut plutôt se figurer Klemperer jouant Rameau que le Harnoncourt habituel. Cent fois Leppard, qui essayait de bien faire, plutôt que ça. Harnoncourt a de toute façon dit qu’il méprisait assez la musique baroque française… et on sent bien qu’il passe totalement à côté de la dimension déclamatoire et dansante spécifique à ce répertoire.)
Moi je crois que je met Hippolyte encore au dessus.
Harnoncourt a dit ça ? J’ai cru comprendre que c’est un peu pareil pour Herreweghe …
(je l’ai entendu dire une fois … avec un sourire qui ne trompait pas … qu’il laissait le baroque français aux spécialistes …)
Pourquoi tant de haine ? Je l’ignore, mais c’est un profond manque de goût …
Herreweghe? ça m’étonnerait bien… parce que franchement il a laissé des choses dans la baroque français tout bonnement fantastiques!
C’était peut-être plus pour la tragédie lyrique (qu’il a pas tant que ça enregistré) et à mon avis, ce n’était pas ironique ou méprisant de sa part… il a quand même soigné comme pas possible son deuxième enregistrement d’Armide!
Hippolyte, avec son livret pourri, ses bizarreries ostentatoires et vaguement poseuses ? Certainement pas pour moi. Ce n’est pas le plus mauvais Rameau, loin s’en faut, mais c’est assurément celui que j’aime le moins.
Herreweghe l’a probablement plutôt dit comme une pointe envers certains collègues, puisqu’il a quand même servi cette musique assez généreusement aux débuts du Collegium Vocale et de la Chapelle Royale (dont le nom n’est pas anodin).
Concernant Harnoncourt, c’est un tropisme assez banal chez les musiciens allemands (Quasthoff aussi avait fait des déclarations en soulignant la médiocrité des compositeurs français, et pas seulement baroques !), parce que la musique française obéit à des logiques qui ne sont pas purement musicales, et qui peuvent paraître frustrantes si on ne recherche que les formes canoniques.
Hippolyte : mais tu as le droit d’avoir tort !
Harnoncourt : oui oui c’est bien comme ça que je l’entend ! Et c’est aussi pourquoi j’aime tant la musique française, et qu’elle est très présente en ces lieux 😉
Et ce n’était pas prémédité …