L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato, oratorio créé en 1740 à Londres, tire son livret, contrairement à ce que le titre peut laisser penser, de deux poèmes de l’anglais John Milton. En réalité le terme oratorio est une fois de plus très embarrassant pour qualifier cette oeuvre : le sous-titre « ode pastorale » lui sied déjà davantage, pour décrire l’esprit de cette musique, bien qu’il ne soit ici nullement question d’amours de bergers et de bergères. Et peut être faudrait-il employer le terme de masque, non pour le rapprocher de l’origine de ce genre, mais pour montrer la parenté relative qu’on peut observer avec Acis et Galatée. Si Acis et Galatée possède une trame dramatique, qui certes peut passer pour un prétexte à la musique et au chant, celle-ci n’en demeure pas moins existante en comparaison à l’oeuvre qui nous intéresse ici. L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato met en scène (et sûrement ce verbe est il déjà trop fort) trois personnages pour le moins abstraits : l’Allegro pour la Gaité, il Penseroso pour la Mélancolie et il Moderato certainement ici pour réconcilier tout le monde dans une attitude plus stoïque et rationnelle. Elle n’intervient d’ailleurs qu’à la fin pour clore la dialectique ouverte par les deux autres protagonistes et constitue en réalité un ajout du librettiste Charles Jennens.
De même c’est à ce dernier que l’on doit cette opposition par l’alternance de deux poèmes qui de fait n’existe pas chez Milton. En réalité cette opposition n’a ici rien de manichéen. La Gaité peut douter d’elle-même, se voyant musicalement parfois envahie d’une vague mélancolique. Et la Mélancolie de même ne peut se résoudre à un sentiment univoque. Pour brouiller un peu plus les cartes, Haendel attribue plusieurs chanteurs à chaque « caractère ». Les chœurs sont modestement représentés mais n’en demeurent pas moins présents, peut être pour affirmer un caractère plus universel aux propos des solistes. On notera que si les chœurs ne sont pas servis en quantité, ils le sont en qualité comme en atteste le sublime final de la deuxième partie.
Si le talent en matière d’écriture chorale est une constante chez le compositeur (voir pour l’exemple Israël en Egypte), les airs ne sont pas en reste. Ils ne sont pas sans rappeler ceux de Théodora (et en premier lieu les parties d’Il Penseroso). C’est donc au meilleur tonneau qu’Haendel puise là son inspiration. On y retrouve la spiritualité et la joie, dont le compositeur était passé maître à les traduire en musique. Signalons enfin, comme nous l’avions fait dans le récital de Mark Padmore, le sublime duo As steals the morn. L’essentiel étant de souligner l’importance qualitative de l’oeuvre dans le corpus haendelien.
A l’heure où j’écris l’article, une version dirigée par Paul McCreesh, est venue garnir les rayons des disquaires, et j’avoue ne rien savoir sur ses qualités pour l’excellente raison que je n’ai pu à ce jour l’écouter. Ce qui est en revanche sûr, c’est que la version dirigée par John Eliot Gardiner, autrefois chez Erato, et rééditée chez Warner est tout à fait recommandable. Le chef anglais est évidemment totalement dans son élément et connaît son Haendel sur le bout des doigts. Le Monteverdi Choir reste fidèle à sa réputation d’excellence, et l’équipe des solistes, loin du star system, se révèle engagée et conforme à l’esprit de l’oeuvre.