« Haendel est le maître inégalable de tous les maîtres ! Allez-y et apprenez de lui à produire d’aussi grands effets avec peu de moyens » – Ludwig van Beethoven. Voilà qui résume à merveille toute la puissance expressive de la musique haendelienne : Beethoven nous incite là à penser en terme qualitatif et non quantitatif. Ainsi, le génie musical n’aurait que peu à voir avec les moyens expressifs dont il use, car il les transcende. Car oui, cette ballade pastorale à laquelle nous invite le ténor Mark Padmore et le chef Andrew Manze à la tête du The English Concert, semble d’une telle simplicité, qu’un immense sentiment d’évidence nous envahit, nous laissant songer qu’il n’est chose au monde plus aisée à composer.
Cette impression d’évidence se double de l’étrange impression que chaque air ou scène ici sélectionné est un sommet émotionnel pour l’auditeur. On cherche le moment faible, ou seulement moyen, mais il ne vient pas, nous faisant par là douter de notre très bonne impression, étant donné que notre jugement fonctionne par comparaison. Les extraits sont sélectionnés avec une grande intelligence : ils sortent totalement des sentiers battus, et sont de la plume la plus raffinée du compositeur. C’est le versant le plus planant et spirituel de la musique de Haendel, assez éloigné de certains aspects plus démonstratifs et moins profonds de ses compositions seria (ce qui n’empêche pas l’opera seria d’être ici représenté sous son meilleur jour par Tamerlano et Rodelinda).
Handel moins inspiré quand il s’agissait d’écrire pour ténor ? C’est ce que j’avoue avoir longtemps pensé, soutenu en cela par le fait indéniable que les ténors jouaient alors plus les utilités que les premiers rôles. Ce disque entame en grande partie cette affirmation. Mark Padmore prouve ici que les ténors furent servis généreusement par le génie haendelien. Et pour composer un tel récital, il ne fut point nécessaire de racler les fonds de tiroirs : les airs pour ténor de Théodora, pourtant sublimes ne figurent par exemple pas au programme. Ainsi le programme est composé d’extraits de : Alceste, Semele, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, Tamerlano, Samson, Rodelinda, Esther, Jephta et L’Allegro, il Penseroso, ed il Moderato … qui clôt ce disque (richement minuté – 77 minutes) par un sublime duo, donnant son nom au disque. Comme dans tous les très bons récitals, une forte et agréable impression d’unité se dévoile tout au long de l’écoute de ce disque.
Reste que les qualités de Mark Padmore et Andrew Manze ne se limitent pas à la sélection et l’agencement d’un magnifique programme. Le ténor, dont l’émission se révèle homogène et les aigus mixés, se montre impliqué tout en évitant le piège des maniérismes parfois aseptisants de certains chanteurs baroques. Andrew Manze sait fondre son propos avec celui du chanteur, pour en donner un tout indissociable. Notez que ce disque est compris dans une vague récente de rééditions économiques chez Harmonia Mundi (où l’on y trouve entre autres le Rinaldo et l’Orfeo ed Euridice dirigés par René Jacobs) dont il est conseillé de profiter.
Qui a dit que les disques de récital étaient sans intérêts et la musique de Haendel sans profondeur ?