Le requiem dont nous nous proposons de dire ici quelques mots (dans le seul objectif de donner envie au plus large public possible de le découvrir), nous est parvenu via cinq manuscrits. Il est impossible de dater précisément cette messe pour les morts, même si nous pouvons approximativement en situer sa composition entre la fin du XV° et le début du XVI° siècle. De même, si les musicologues sont plutôt enclins à attribuer ce requiem à Antoine de Févin (qui fut chantre de Louis XII), Marcel Pérès qui dirige (et chante ici la partie ténor) l’ensemble Organum, ne voit aucun argument décisif pour ne pas l’attribuer à Antoine Divitis (maître de chapelle d’Anne de Bretagne). Il ne nous appartient pas ici de trancher les questions philologiques.
Ce requiem s’inscrit dans la tradition polyphonique de l’école franco-flamande inaugurée par Guillaume Dufay (~1397-1474), mais en représente certainement une évolution tardive, avant l’abandon du genre. De cette école, le compositeur reprend la technique de structuration par un (ou plusieurs) cantus firmus, c’est-à-dire l’utilisation d’un thème musical (qui peut être profane) préexistant à l’œuvre (et qui n’est pas de l’imagination du compositeur), comme base de l’édifice compositionnel : l’art du musicien commençant dans l’art du contrepoint qu’il devra échafauder. Cette messe pour les morts se trouve être particulièrement inspirée, parvenant à une sorte de miracle dans la conciliation entre la prégnance mélodique et l’envoûtement propre à la polyphonie. Il est de ce fait assez étrange, que l’œuvre soit sensiblement moins connue que celles de Dufay, Ockeghem ou Desprez (pour ne citer que les plus connues), car elle peut sans rougir en soutenir la comparaison.
L’interprétation qu’en offre les Organum se démarque très nettement de celle de l’ensemble Doulce Mémoire. L’austérité du chant a capella des Organum s’oppose à l’accompagnement instrumental proposé par Doulce Mémoire. Encore plus fondamentalement, c’est sur le chant que se différencient ces deux versions. À la majesté sonore, Marcel Pérès oppose l’âpreté vocale de chanteurs aux timbres parfaitement identifiables, non seulement pendant les moments de plain-chant, mais également au cours de la polyphonie. Bien sûr la voix de basse profonde de Jérôme Casalonga ou/et d’Antoine Sicot, semblant sortir des entrailles de la terre (il faut dire que sa technique paraît bien éloignée de celle des chanteurs lyriques, par son aspect qui semble laryngé, se rapprochant certainement de traditions anciennes propres au chant liturgique) marquera ceux qui s’aventureront à écouter ce disque, mais chaque chanteuse ou chanteur laisse montrer une personnalité bien différente de celle de ses collègues. Bien loin de nuire à l’ensemble final, c’est au contraire l’atout expressif majeur de ce disque. Il est également essentiel de noter le parti-pris de Marcel Pérès, consistant à user assez abondamment d’ornementations. L’atmosphère générale s’en trouve bouleversée, comme transportée dans une chrétienté qu’on imagine bien plus orientale que notre occident latin. Cette orientation, au-delà de tout débat (stérile) quant à son degré d’historicité, nous enchante au plus haut point.