Rimski-Korsakov (1844-1908) occupe une position un peu particulière dans l’histoire de la musique russe : il fait partie du « Groupe des Cinq » (comme ses amis Moussorgki et Borodine), mais il en est le cadet et c’est lui qui fait la liaison avec le XX° siècle, de par la modernité de sa musique et le fait qu’il ait pu enseigner à Stravinski. Comme ses confrères entichés de nationalisme, il est très attaché à l’histoire, aux mythes, aux traditions et d’une façon générale à la culture russe. Cela influencera sa conception de la musique, par la prégnance des thèmes populaires, ainsi que les sujets de ses livrets d’opéra et de ses poèmes symphoniques.
Cet opéra, créé en 1897, doit son livret à un groupe d’auteurs, parmi lesquels le compositeur figure. Il est inspiré de la légende de Sadko, ce musicien, voyageur et marchand qui aurait vécu au XIIième siècle à Novgorod. La tradition nous conte qu’il fut capturé par le roi de la Mer et entraîné dans un royaume sous-marin, où les créatures qui le peuplent, dansent frénétiquement aux sons de sa cithare. Le livret reprend la tradition et l’enrichit de nombreux épisodes. Sadko veut voyager à travers l’Océan, ce qui n’est pas du goût de ses concitoyens. Rêvant au bord d’un lac, le jeune musicien se met à chanter. Les cygnes du lac se transforment en jeunes filles dont une se trouve être Volkhova, fille du roi de la Mer, envoûtée par le ramage de Sadko. La princesse est obligée de rejoindre les abysses aux lueurs de l’aube, mais promet à Sadko qu’il pêchera trois poissons aux nageoires d’or. Ce dernier de par cette pêche miraculeuse se voit idolâtré par la foule de Novgorod. Sadko ordonne qu’une expédition soit montée. Mais le voyage tourne court pour le héros : son navire est arrêté en pleine mer. Comprenant qu’il s’agit de la fureur du roi de la Mer, il se sacrifie et sombre au fond de la mer. Sadko alors devant le roi, se voit défendu par Volkhova, vantant les mérites de son chant. Par ces notes, le peuple sous-marin et le roi lui-même se mettent à danser avec une telle ardeur qu’ils provoquent tempêtes et désastres à la surface. C’est alors qu’une créature apparaît pour annoncer la fin du de ce royaume. Alors que ce dernier se désagrège, le couple d’amoureux remonte à la surface. Volkhova ne pourra vivre sous forme humaine et se transforme en une rivière qui portera son nom. Sadko retrouve sa véritable épouse et Novgorod, où la mer est acclamée comme une voie de découverte.
La musique de Rimski-Korsakov épouse très naturellement la féerie du livret. Comme dans Shéhérazade, la teneur aquatique du livret l’inspire d’autant plus qu’il a été lui-même officier de marine dans sa jeunesse. Si comme nous l’avons vu la source mythique est essentielle aux compositeurs du « Groupe des Cinq », Rimski-Korsakov en représente le pan fantastique, par opposition au pan épique ou guerrier (voir Prince Igor de Borodine). Cela nous vaut une musique très colorée (comme celle de ses amis), et prompte à satisfaire aussi bien le novice que le mélomane aguerri (ce qui peut d’ailleurs nous amener à nous interroger sur l’absence des opéras de Rimski-Korsakov dans les maisons d’opéras en France). De plus, il serait (comme toujours dans ce cas là) plus que dommageable de n’écouter cet opéra qu’en extraits, et évidemment je pense au tube qu’est la chanson indienne qu’entonne le marchand hindou. Goûtez donc au lyrisme à la manière de Rimski-Korsakov, c’est à dire à un lyrisme du fantastique (que cela ne nous amène pas à croire que le fantastique est moins humain que d’autres types de récits … au contraire, si il s’échappe un peu du réel de l’homme c’est par seul souci d’en mieux dépeindre l’âme) … pas si fréquent à l’opéra, si on considère que la féérie des opéras baroques relève d’une toute autre poésie. Il est vrai que l’on pourrait noter une différence musicale, fort logique, entre les passages terrestres (où il se rapproche de ses amis et confrères, on pense par exemples aux chœurs) et les passages sub-aquatiques, mais ça serait oublier un peu vite l’unité de l’œuvre.
L’enregistrement que je vous propose (et que vous pouvez écouter en entier à la fin de cet article car libre de droits) est celui dirigé par Nikolaï Golovanov en 1952, accompagné par le chœur du Bolchoï, et édité chez Melodiya. Il ne s’agit pas d’une version véritablement intégrale, mais cela n’étonnera pas les amateurs d’opéra, car c’était une habitude très ancrée à cette époque. Elles sont cependant relativement limitées. Comme toujours se pose le problème de la clarté très sommaire des chœurs dans ce type d’enregistrement monophoniques (ou encore des passages orchestraux imposants), sans pour autant que cela invalide cette intégrale. C’est la seule version (CD) couramment disponible avec celle de Valery Gergiev de 1994, que je n’ai pas eu le loisir d’écouter. Je laisse donc au lecteur le soin de juger si les légendaires Nelepp et Reizen, siéent bien à leurs oreilles :
Cet endroit est décidément contaminé par les Carnets d’Erik : de l’opéra russe semi-obscur (mais lumineusement orchestré et commenté), et des versions antédiluviennes bien choisie.
Vous êtes sous bonne influence.
Oui, je l’ai bien formé!!
Sinon, il y a aussi une version en direct de 1964 avec Vladimir Petrov dans le rôle titre, mais on est vraiment très très loin de la qualité de chant de Golovanov!
Et pour l’absence de ces opéras sur les scènes françaises, tout simplement la difficulté de les représenter scéniquement (toujours beaucoup de décors), un compositeur qui n’attirerait pas les foules, et des distributions difficiles à réunir convenablement. Ici il faut le Sadko, mais aussi les deux sopranos différenciées, le Tsar de la Mer et les trois marchands (chez Golovanov c’est royal, mais chez Gergiev par exemple c’est très décevant…).
En tout cas si Sadko te plait, essaye Kitège! ça devrait te plaire!
Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à Rimski, mais le répertoire russe est peu présent en France (et quand on en donne ce sont toujours les mêmes titres). C’est quand même non seulement dommage, et surtout peu justifiable (mais toujours explicable oui).
Kitège oui il faudra que j’écoute ça !